Ballet de la Félicité, sur le sujet de l’heureuse naissance de Monseigneur le Dauphin

COMPOSITEUR Antoine BOËSSET et autres
LIBRETTISTE Jean Desmarets de Saint Sorlin

 

Le Ballet fut dansé à Saint-Germain le 17 février 1639, puis à Rueil, dans la résidence privée du cardinal de Richelieu, avant le 26 du même mois. Selon, Louis XIII dansa chacune des deux fois.
Il fut repris à Saint-Germain le 6 mars, devant leurs Majestés, c’est à dire sans participation du roi, puis le 8 mars au Palais Cardinal, puis le 17 mars, à l’Hôtel de Ville, la foule des survenants ayant empeché qu’il ne put être dansé le dimanche précédent.
Ces dates sont celles retenues par Beauchamps dans ses Recherches sur les théâtres de France, citant la Gazette de Théophraste Renaudot.
Il subsiste des incertitudes sur les dates, car selon le Mercure François : il était trop beau pour ne paraître qu’une fois, il eut aussi pour second admirateur le cardinal de Richelieu, au palais duquel les baladins déplièrent le secret de justes cadences qui formaient une infinité de belles figures : et ceux qui se trouvèrent la même nuit à l’Hôtel de Ville, eurent la satisfaction de le voir représenter la troisième fois avec autant de grâce que la première.
Par ailleurs, Bassompierre, dans ses Mémoires, indique que le ballet fut dansé pour la première fois devant leurs Majestés, le 5 mars 1639, puis le mardi, chez le cardinal à Paris, et le mardi 13, à l’Arsenal.
Selon la Gazette, Louis XIII aurait dansé deux fois, les 17 et 26 février.
Il convient de rappeler que Louis Dieudonné, le Dauphin de France tant attendu, était né le 5 septembre 1638.
Trois airs de Boësset, sur des textes de Jean Desmarets de Saint Sorlin, ont été conservés :

  • récit de la Renommée : Je vays sur la terre & sur l’onde Avec toutes mes voix ;
  • récit de la Félicité, la Justice et les Amours : Je suis l’adorable Equité, Qui conduis la Felicité ;
  • récit de l’Ambition : Grand Roy, qui force la victoire A suivre par tout ta valeur,

tous inclus dans les recueils d’Airs de cour à 4 & 5 parties (Ballard, 1642), d’Airs de cour avec la tablature de luth d’Antoine Boesset (Ballard, 1643), d’Airs de cour à 4 & 5 parties (Ballard, 1689) ;
ainsi que deux airs à boire :

  • une Chanson à boire : Courage bons buveurs nous avons un dauphin (texte et musique de N. Jacquelin du Chastelet) :
  • une Chanson à danser : Sur ces hautes montagnes (musique de F. de Chancy).

C’est dans ce ballet que l’incomparable Marais, chanteur, musicien, mime, fit sa dernière apparition.

Argument
Ce Ballet est divisé en trois parties, par trois récits principaux. La première, représente les malheurs passez de la guerre : la seconde , le bonheur présent de cette naissance, la troisiesme, celuy que l’on espère par une paix generale. A l’imitation des belles Tragicomedies qui, de l’infortune & du milieu mesme du désespoir, font naistre agréablement la joye & le repos.
Premier Récit
L’Ambition fait ce récit en chantant et s’adressant au Roy :
Grand Roy, qui forces la victoire A suivre par tout ta valeur ; Dont la vertu produit la gloire, Et fait écarter le malheur ; Je suis l’Ambition, à ton ame inconnuë, Qui souvent pour un corps n’embrasse qu’une nuë.
Sans cesse le coeur que j’inspire Trouble le repos des humains. Souvent pour l’espoir d’un Empire, ll perd ce qu’il tient dans ses mains. Cest une passion à ton ame inconnuë, Qui souvent pour un corps n’embrasse qu’une nuë.
Mais Toy, dont la force sublime Te fait modérer tes désirs Tu rens ton esprit magnanime Exempt des cruels des plaisirs De cette passion à ton ame inconnuë, Qui souvent pour un corps n’embrasse qu’une nuë
Première Entrée
Lc sieur l’Anglois, représentant la Discorde, tient le globe du monde ; & au lieu qu’elle jetta autrefois la pomme d’or pour faire la division entre les Dieux, elle jette le globe du monde mesme, pour estre le sujet de la dissention entre les Princes de la terre, puis se retire.
Seconde Entrée
Lc sieur Lalun représentant Bellone assize sur un canon, traîné par le sieur de Manse & le Marquis de Sillery représentans l’Or et l’Argent, accompagnée des Marquis de Brezé, de Roquelaure & de Fors, & du Comte de Roussillon, representans quatre conquerans, Cyrus, Alexandre, Cesar & Tamerlan, lesquels l’un apres l’autre prennent le monde entre leurs mains & le tournent à leur gré,puis se retirent.
Troisième Entrée
Bellone, descendant de dessus le canon, danse avec l’Or & l’Argent, & chacun d’eux prend le monde & le tourne comme il luy plaist.
Quatrième Entrée
Les sieurs de S. André & de Verpré arrivent representans deux Espagnols à qui Bellone montre le monde, pour leur donner envie de le posséder : puis elle se retire avec l’Or & l’Argent. Les Espagnols considèrent le monde avec admiration, et font dessein de l’emporter.
Cinquième Entrée
Les sieurs de la Barre & de Montan surviennent, representans deux François, lesquels ayant considéré les actions des Espagnols, s’opposent à leur dessein, & leur font laisser le monde comme il estoit. Les Espagnols se retirent pour aller quérir du secours.
Sixième Entrée
Les sieurs Heynault et Baptiste representans deux Allemands, viennent avec les deux Espagnols, lesquels ensemble font retirer les François qui vont quérir du secours.
Septième Entrée
Les sieurs Baro & Jacquier representans deux Suédois, viennent avec les François, pour combattre les Espagnols & les Allemands (*).
(*) référence au traité de Hambourg entre la France et la Suède, en mars 1638

Huitième Entrée
Les huict guerriers font un combat ; Surquoy entre le Chariot de la Félicité, tiré par deux Amours ; la Félicité tenant Monseigneur le Dauphin , & ayant la Justice à ses pieds, accompagnée de quatre joueurs de Luth à pied, representans les contentemens.
Les combatans, à la veuë de Monseigneur le Dauphin, cessent le combat & le révèrent, puis se sousmettent à la justice ; laquelle prenant le globe du monde, & le touchant de son espee, il se divise en quatre parts. Un François en donne une aux Espagnols, une aux Allemands, une aux Suédois, & en retient une autre pour luy & pour son compagnon, & se touchant tous dans la main, ils se retirent.
Second Récit
La Félicité, 1a Justice & les Amours font ce récit en chantant, accompagnez des joueurs de luth. La Justice commence.

 

La Justice La Félicité Les Amours Tous ensemble
Je suis l’adorable Equité,
Qui conduis la Félicité.
Apres tant de malheurs, enfin je viens parestre Avec ce noble Enfant. St nous t ‘vons fait naistre
D’un grand Roy triomphant.
Tous ensemble chantent.
Soit la tristesse bannie,
L’heur surpasse les desirs.
O l’agreable harmonie
Des vertus et des plaisirs !
Rejne, que le Ciel justement
T’a donné ce contentement.
Il a considéré la bonté de ton ame,
Rendant tes voeux contens.
Et la pudique flame
De deux coeurs si constans.
Soit la tristesse bannie,
L’heur surpasse les desirs.
O l’agreable harmonie
Des vertus et des plaisirs !
Tousjours puisse brusler pour toi
Le grand coeur d’un si juste Roy
La gloire et le bon-heur, jamais ne t’abandonnent,
Brillans parmy les feux.
Et tousjours t’environnent
Et les ris & les Jeux
Soit la tristesse bannie,
L’heur surpasse les desirs.
O l’agreable harmonie
Des vertus et des plaisirs !

 

Neuvième Entrée
Le sieur de Cominge représentant la France, & les sieurs la Cheínaye,la Richardiere & Lalun, representans les trois principales rivières de France.
Dixième Entrée
Lc Comte de Toulongeon représentant un illustre & valeureux Saxon, vient présenter à la France des Drapeaux & des Guidons, pour marques de ses victoires.
Vers pour l’illustre et valeureux Saxon : Mon esprit & mon bras ont fait tout mon bon-heur : Et je puis esperer que mon nom plein d honneur Servira d’ornement aux futures Histoires. Je faits trembler le Nort au bruit de mes exploicts : Mais me voir si chery du plus juste des Rois, Cest le fruìt le plus doux de toutes mes Victoires.
Elle le reçoit pour son Chevalier d’honneur, & luy donne la main pour dancer avec elle.
Onzième Entrée
Lc sieur Haynault représentant l’Espagne, lc Marquis de Coeslin représentant son Chevallier d’honneur, & le Comte de Roussillon avec les sieurs le Goys & de Lause representans trois principaux fleuves d’Espagne, viennent trouver la France, ils dancent tous ensemble, & se touchent dans la main.
Douzième Entrée
Une machine représentant un feu de joye pour la naissance de Monseigneur le Dauphin, avec cinq enfans qui forment une figure sur un piédestal, puis les enfans dancent.
Troisième Entrée
Le sieur de Verpré représentant le Génie des plaisirs, tesmoigne qu’il les va faire revenir sur terre, comme font ceux qui suivent, la chasse, le jeu, la bonne-chere, & les mascarades.
Quatorzième Entrée
Les Marquis de Fors, & de Sillery , le Comte de Toulougeon & le sieur de Manse representans quatre chasseurs.
Quinzième Entrée
Lc sieur de Cominge représentant le jeu, & le Marquis de Roquelaure, & le Comte de Roussillon, avec les sieurs la Barre & Montan, representans quatre joüeurs.
Seizième Entrée
La Machine d’une Table sur laquelle est une fontaine de vin , & des beuveurs allentour, chantans & dançans.
Chanson à Boire, dont l’Air & les parolles ont esté composées par le Sieur Chastellet :
Courage, bons beuveurs, nous avons un Dauphin Qui monstre sa puissance. Il fait voir naistre a nos yeux une source de vin Au jour de sa Naissance.
[….]
Beuvons à ce Mignon, il est du Sang des Dieux, Beuvons tant que le vin nous sotte par les yeux.
Dix-septième Entrée
Les sieurs Marais & Moulinié representans un Soldat estropié & son Goujat, revenans du Siège de Brisac.
Dix-huitième Entrée
Les Mascarades representez par des saulteurs, faisans des sauts & des postures extraordinaires.
Troisième Récit
La Renommée aislée, & la Trompette à la main, fait ce récit en chantant : Je vay sur la trre (& sur l’onde, Avec toutes mes voix, Publier les exploicts Du plus grand Roy du Monde : De ce Roy qui s’est fait, par une juste guerre, L’Arbitre de la Terre.
Mortels que la Mer enveloppe, Ou qui fendes les flots ; Désormais le repos Va régner dans l’Europe, Par ce Roy qui s’est fait par une juste guerre, L’Arbitre de la Terre.
Cest lui dont la Juste balance, Réglant sa Volonté, Sçait peser sa Bonté Avecques sa Puissance ; C’est ce Roy qui s’est fait par une juste guerre, L’Arbitre de la Terre.
Dix-neuvième Entrée
Le Seigneur Sicilien représentant un Jannissaire, entre devant le Grand Seigneur.
Vingtième entrée
Le sieur de Lauze représentant le Grand Turc, & les Marquis de Brézé & de Coaslin & le Prince d’Henrichemont representans trois Bachas, viennent ensemble le Cimeterre en main, & menassent tout de feu & de sang, croyant qu’on est las de la guerre; sur ce que la Renommée avoit publié que le repos alloit régner dans l’Europe.
Vingt-et-unième Entrée
Les sieurs le Gois & Montan representans deux hommes my-partis, moitié François & moitié Espagnols, & les sieurs Souville & Richardiere, representans deux autres my-partis , l’un moitié Allemand moitié Suédois, & l’autre moitié Flamand moitié Hollandois, se présentent aux Turcs du costé Espagnol, Allemand & Flamand, ayant l’espée à la main. LesTurcs viennent à eux, ils se retournent & présentent le code François, Suédois, & Hollandois, ayant aussi l’espée à la main. Les Turcs considerans ceste union de François & d’Espagnols, d’Allemands & Suédois, & de Flamans & Hollandois, se retirent, & l’Europe demeure garentie.
Vingt-deuxième Entrée
Huict petits Amours bruns, blancs & d’autres couleurs diverses representans les Amours d’Espagne, de France, d’Allemagne, de Suède, de Flandre & de Hollande, dancent ensemble & s’embrassent.
Vingt-troisième Entrée
Le sieur la Baire representant Hymenée le Dieu des nopces, vient pour achever ce que les Amours ont commencé.
Vingt-quatrième Entrée
Les sieurs Verpre , S. André & Baptiste representans trois Espagnols.
Vingt-cinquième Entrée
Les sieurs Baro, Haynault, & Jacquier representans trois Damoiselles Françoises, viennent dancer & s’allier avec les Espagnols.
Vingt-sixième Entrée
Les sieurs de Manse & le Goys representans deux Pellerins François allans à S. Jacques, & les Sieurs la Chesnaye & Richardiere representans deux malades Espagnols venans en France, se rencontrent & marquent un commencement de commerce & de communication entre les deux Estats.
Vingt-septième Entrée
Trois Biscayns & trois Biscaynes viennent sur une machine représentant les Mons Pyrénées, au haut desquels est vu berger Biscayn ; & tous ensemble chantent cette chanson, puis la dancent.
Chanson à dancer
Sur ces hautes montagnes, D’où l’on voit les Espagnes Et l’Estat des François. Dançons, poussons nos voix, Mes gentilles compagnes, En l’honneur du Dauphin qui doit unir les Roys.
Disons au Dieu de l’onde, Que le reste du monde Va vivre sur leurs loix. Dançons, poussons nos voix, Mes gentilles compagnes, En l’honneur du Dauphin qui doit unir les Roys.
Cet espoir de la France Merveille en sa Naissance ; Met la guerre aux abois. Aux champs, aux monts, aux bois, Que chacun chante & dance En l’honneur du Dauphin, qui doit unir les Roys.