CD Armida Abbandonata

ARMIDA ABBANDONATA

COMPOSITEUR

Niccolo JOMMELLI

LIBRETTISTE

F. Saverio De’Rogati

 

ORCHESTRE Les Talens Lyriques
CHOEUR
DIRECTION Christophe Rousset

Armida Ewa Malas-Godlewska soprano
Rinaldo Claire Brua mezzo-soprano
Tancredi Gilles Ragon ténor
Rambaldo Laura Polverelli mezzo-soprano
Erminia Véronique Gens soprano
Ubaldo Patricia Petibon soprano
Dano Claire Perrin soprano

DATE D’ENREGISTREMENT 24 juillet au 2 août 1994
LIEU D’ENREGISTREMENT
ENREGISTREMENT EN CONCERT non

EDITEUR Fnac Music
COLLECTION
DATE DE PRODUCTION janvier 1995
NOMBRE DE DISQUES 3
CATEGORIE DDD

  Critique de cet enregistrement dans :

Opéra International – juillet/août 2005 – appréciation 3 / 5

« Une oeuvre passionnante, bien mise en valeur par Christophe Rousset à la tête de ses Talens Lyriques, hélas handicapée par une distribution vocale inférieure à l’enjeu, quels que soient par ailleurs les mérites de Gilles Ragon, Laura Polverelli ou Ewa Malas-Godlewska ».

ResMusica

« C’est en juillet 1994 que les spectateurs du festival de Beaune découvraient le théâtre de Jommelli avec cette Armida fulminante, héroïne à la démesure dramatique aussi fascinante que l’Armide de Lully. Un an plus tard, le label « Fnac Music », aujourd’hui disparu, publiait les séances d’enregistrement dirigées par Christophe Rousset, défricheur de l’opera-seria, post Haendélien/Vivaldien, pré-Mozartien. La partition révèle l’étendue du génie lyrique de Jommelli salué de son vivant. C’est un chaînon manquant réhabilité, d’autant plus essentiel que, incontestablement talentueux, il comble ce manque entre le baroque tardif, celui des années 1750/1760, et les premiers sursauts néo-classiques, colorés par la sensibilité galante qui préparant Mozart, accompagnent les dernières manifestations de la réforme métastasienne du grand genre et qu’illustrent idéalement, les oeuvres parisiennes de Gluck, dans les années 1770.

On accueille donc avec plaisir la réédition de ce texte capital grâce à l’initiative du label Ambroisie. Si Jommelli meurt quasi oublié dans sa Naples natale, après avoir ébloui les cours d’Europe, il laisse avec cette Armida, – son avant-dernier ouvrage pour la scène -, la somme de son style. Une écriture qui recueille le fruit de son métier appris à Stuttgart où il disposa d’un orchestre et de conditions de travail de premier plan ; une conception de la dramaturgie dépouillée, totalement inféodée à la narration psychologique dans laquelle les climats développés par l’orchestre sont aussi efficaces que le chant. Déjà en son heure, l’oeuvre fut plutôt froidement accueillie : trop sophistiquée pour un public gavé de mélodrames napolitains, genre dans lequel d’ailleurs, Jommelli sut aussi se faire un nom (voir la discographie de notre dossier Jommelli : « Don Trastulo », « buffo » créé à Rome en 1749). Il n’empêche : l’amateur d’aujourd’hui, qui saura reprendre par parties dans son salon l’écoute de l’opéra et prendre le temps de se familiariser avec la langue codifiée de l’opéra « sérieux » du XVIIIème siècle, découvrira l’honnêteté d’un musicien tout accaparé à soigner l’intelligibilité passionnelle de ses personnages. A travers l’orthodoxie des formes convenues (aria da capo, récitatifs obligés, airs de sortie, de bravoure, di paragone ; élévation morale des caractères, conclusion positive et apologie des sentiments vertueux, selon le modèle qu’a fixé Métastase, poète officiel de la Vienne des années 1730/1740), l’oreille reste saisie par des épisodes de pleine fulgurance, en affinité poétique avec la trame romanesque inspiré du Tasse. Jommelli fait de l’enchanteresse Armide une femme vulnérable, impuissante et seule, maladivement inquiète. L’histoire dépeint la lente agonie de son pouvoir et la destruction du monde factice qu’elle a créé par magie. Tous les personnages (Erminia/Clorinda, Rinaldo mais aussi Rambaldo et Tancredi) éprouvent dans la geste chevaleresque, ce moment d’égarement et de désespérance, où victimes de l’amour, ils mesurent le gouffre de leur solitude. Cet aspect du dénuement psychologique donne à chacun sa profondeur humaine. La force de l’opéra demeure en ce sens son éloquente gradation. Ainsi, de l’Acte I dont la fin est un chant à deux – d’une sensualité éperdue, affirmant l’image de la séductrice triomphante – à la fin de l’Acte II qui dessine a contrario, la silhouette brisée de l’amante abandonnée et détruite, Jommelli ne nous épargne aucun des sentiments de la guerre amoureuse : fusion (enchantement), solitude (jalousie, haine, mort).

Christophe Rousset sait être sensible à l’imagination quasi débordante de l’orchestre dont la vitalité nerveuse, idéalement précise, se délecte des alliances de timbres et des contrastes de rythmes (sinfonia introductive) ; il sait commenter l’action intérieure des personnages et comme éclairer dans le chant des instruments les palpitations des âmes, en particulier celles de la prima donna. Le chef s’y montre d’autant plus subtil, opérant un travail exceptionnel sur la dynamique et la matière texturée de l’orchestre (ses fameux crescendo ; accents des hautbois, basson et flûtes obligés), que Jommelli détourne les règles et aime visiblement innover : récitatifs accompagnés, monologue en arioso, da capo non obligatoire, forme nouvelle de recitar cantando (Chaconne de Rinaldo)’ Les chanteurs apportent aussi leur contribution : si le mezzo de Claire Brua (Rinaldo : à l’origine écrit pour une voix de castrat) manque parfois d’articulation, l’Armida de Ewa-Malas Godlewska donne la pleine mesure d’un rôle écrasant conçu à l’époque pour l’une des sopranos les plus douées, Anna De Amacis. La chanteuse devait fortement impressionner le jeune Mozart qui lui réservera des airs du même registre pour son Lucio Silla de 1773. De la fragilité inquiète (scène 5 du II, plages 10 et 11 du CD2) au déchaînement de la fureur vengeresse (cascade et exaspération des notes pointées : scènes 12 du III, plages 5, 6 et 7 du CD3), – quand elle apprend le départ de Rinaldo -, Armida impose sa démesure dramatique. Les autres voix : Véronique Gens (noblesse idéalement métastasienne), Gilles Ragon (projection lumineuse, impact théâtral), Laura Polverelli et Patricia Petibon, entre autres, forment un plateau vocal parfaitement cohérent. Nervosité et caractère au service d’une partition qui recherche l’expressivité : que demander de plus ?

Voilà donc une réédition d’autant plus opportune qu’elle se confirme comme une gravure majeure dans la discographie des Talens Lyriques. »

http://perso.wanadoo.fr/alexandre.s/baroque.htm

 « une interprétation fort honorable d’une oeuvre par trop méconnue »

Opéra International – mars 1995 – apréciation 2 / 5

« Christophe Rousset a eu raison de sortir de l’oubli cet autre visage de la magicienne Armide…Mais cet acte de culture…ne sert malheureusement pas la cause d’une éventuelle résurrection de l’immense répertoire lyrique de Jommelli…Comment croire en cette succession d’airs baroques, conçus pour l’une des écoles de chant les plus flamboyantes de l’histoire, quand on les confie à des solistes à peine acceptables ? Lorsque l’essence même de la musique n’est pas respectée, lorsque l’auditeur ne peut plus identifier le style de l’ouvrage, il devient difficile de comprendre la portée du message musical de l’auteur…En 1995, peut-on encore, par exemple, négliger les récitatifs ?..Lorsque l’on passe à l’air proprement dit, les chanteurs qui ont, malgré tout, fait un petit effort pour soigner leur prononciation jusque-là, perdent soudain le contrôle de leur émission et, gênés par leurs tessitures respectives, s’expriment dans une langue parfaitement inintelligible, qu’ils soient français ou ita-liens d’ailleurs, comme Laura Polverelli…Gilles Ragon est celui que l’on comprend le mieux ; même si son Tancredi manque d’incisivité, de mordant et de fierté, il sait par moments vocaliser avec une certaine aisance et un aplomb indéniable, en dépit d’une absence d’assise dans le médium parfois flagrante. Véronique Gens, voix pauvre en harmoniques, campe une bien pâle Erminia, Claire Brua n’émergeant du brouillard que par la mauvaise qualité de son timbre et ses sonorités rigides, rêches, souvent « dans les joues ». Laura Polverelli (Rambaldo) possède une jolie voix, sombre et ample dans le médium, malheureusement affligée de duretés imputables à une émission un peu trop gutturale. Ewa Malas-Godlewska, très présente dans les récitatifs, recrée par instants la personnalité complexe et ambigue de la magicienne ; mais sa manière fort peu orthodoxe de vocaliser, ses sonorités fixes plutôt gênantes dans ce type de répertoire, retirent beaucoup d’impact à son incarnation. Réellement modestes, le Dano de Cécile Perrin, voix hésitante et fragile, dépourvue du moindre sens du phrasé, et l’Ubaldo incertain et instable d’une Patricia Petibo très limitée sur le plan technique. »

Le Monde de la Musique – mars 1995 – appréciation 4 / 5 – technique 8,5

« On admire la lecture parfaitement maîtrisée de Christophe Rousset : tempos toujours judicieux, exploration habile et systématique de l’écriture orchestrale, intelligence à privilégier le métier des chanteurs. Le choix de la distribution vocale est une réussite…Dans une parfaite cohérence de style, le couple Ewa Malas-Godlewska et Claire Brua brille par une totale identification dramatique avec les personnages. Gilles Ragon est un intelligent Tancredi et la plaisante Véronique Gens trouve le ton juste pour Erminia. »