CD Alcina (1999)

ALCINA

Alcina

COMPOSITEUR

Georg Friedrich HAENDEL

LIBRETTISTE

Antonio Marchi

 

ORCHESTRE Les Arts Florissants
CHOEUR Les Arts Florissants
DIRECTION William Christie

Alcina Renée Fleming
Ruggiero Susan Graham
Morgana Natalie Dessay
Bradamante Kathleen Kuhlmann
Oronte Timothy Robinson
Melisso Laurent Naouri
Oberto Juanita Lascarro

DATE D’ENREGISTREMENT 10, 13, 16, 19, 20 juin 1999
LIEU D’ENREGISTREMENT Paris – Opéra Garnier
ENREGISTREMENT EN CONCERT oui

EDITEUR Erato
COLLECTION
DATE DE PRODUCTION janvier 2000
NOMBRE DE DISQUES 3
CATEGORIE DDD

 

Prix international du disque « Cannes Classical Awards » 2001 – catégorie Opéra XVII/XVIIIe

Critique de cet enregistrement dans :

Un site consacré à Natalie Dessay

« Alcina est un rôle d’une importance écrasante. Ruggiero est également très important mais Morgana, la s’ur d’Alcina, n’est qu’un rôle mineur. C’est un personnage sensible, amoureux, très éloigné d’Alcina qui est plus égoïste, plus calculatrice. La tessiture est placée dans le haut médium, il faut une facilité à chanter très haut mais les coloratures sont rares. Dans la mise en scène de Robert Carsen, Morgana n’est plus la s’ur d’une sorcière mais la domestique d’une bourgeoise qui a une grande demeure à la campagne. Natalie Dessay impose donc un caractère beaucoup plus fort qu’à l’accoutumée. Les airs de bel canto (les airs lents, qui constituent presque tout le rôle) sont encore chantés sans émotion, sans cet émerveillement triste et fébrile qu’éprouve Morgana face à Bradamante. Si l’on se place sur seul plan du plaisir vocal, c’est cependant une vraie fête.

La cadence du (seul) grand air virtuose est « à la Natalie Dessay », c’est-à-dire brillante et démonstratrice, extrêmement aiguë (on vient tous la voir pour ça, non ?). Il n’y a aucun rapport avec Morgana mais qu’importe, la cadence est généralement là pour mettre en valeur les possibilités des cantatrices dans l’aigu. Cependant’y a-t-il réellement une cadence de prévu à la fin de l’air ? Non, c’est une pirouette que William Christie et la chanteuse ont choisi de rajouter pour faire plaisir au public. En plus de manière pas très musicologique. Lors de la saison où le Théâtre des Champs-Elysées avait présenté « Roland » de Lully et « Orlando » de Haendel, René Jacobs avait fait une conférence où il expliquait comment devait être chantée une cadence du temps de Haendel. Le chanteur doit chanter la cadence d’une traite, sans reprendre son souffle. Et si William Christie laissait les chanteurs opérer différemment, il faudrait le lui dire. Quelqu’un aurait du le faire avant qu’il n’enregistre !

A quoi bon jouer sur instruments d’époque si on ne respecte pas les règles d’interprétation ? En ce qui concerne les cadences et les variations, c’est un peu n’importe quoi. Renée Fleming est une immense chanteuse mais elle manque sans doute de goût et de style en ce qui concerne le bel canto. Ses variations dans le grand air « Ah mio cor, schernito sei » ressemblent à de l’opéra du 20e siècle !

Personnellement, je n’aime pas tellement la direction de Christie, que je trouve complaisante envers les chanteurs, et superficielle. Aucune conception d’ensemble ne ressort de l’écoute de cette intégrale. Que représente l’oeuvre d’après lui ? La mise en scène pleine de bonnes intentions mais inaboutie de Robert Carsen n’a pas du lui être d’un grand secours. Au final, cette version est décevante. »

Ramifications – février 2000

« Le trentième opéra de Haendel fut donné pour la première fois à Covent Garden, le 16 avril 1735 et fut un triomphe digne du compositeur, délogé un an auparavant du King’s Theatre que le très en vogue Opéra de la Noblesse, sous la direction du Prince de Galles Frederick, s’était approprié grâce aux succès populaires de ses protégés : Porpora et Farinelli. Covent Garden, le plus grand et le plus neuf des théâtres de la capitale (il avait été fondé en 1732 !) comptait bien relever le gant. Alcina, dont le livret s’inspire nettement de l’Orlando Furioso, installe dans un décor féerique, d’inextricables histoires d’amour dignes des tragédies raciniennes les plus douloureuses : A aime B qui aime C qui aime A… De si profonds tourments gagnèrent autant le public de l’époque que les séries télévisées les plus romanesques ravissent de nos jours les spectateurs transis ! L’intrigue simple touche à coup sûr les c’urs tendres et rêveurs. La force musicale de Haendel réside, tout comme la puissance littéraire de Racine, dans la minutie de l’étude psychologique de ses personnages : plus de 25 arias da capo, souvent très longues, laissent à ceux-ci le temps de développer leurs émotions, d’exprimer leur colère, leur rage, ou leur amour, d’examiner la face contraire de leur passion, puis de revenir plus forts à leurs sentiments premiers. La forme ABA maintient ainsi la tension et permet à chacun d’entre eux d’évoluer. Au c’ur de l’acte II (CD2, plage 16), Alcina chante pendant plus de douze minutes son amour trahi, sa folle jalousie pour revenir enfin à de simples pleurs de femme : la sorcière, l’ensorceleuse qui n’a pu maintenir sous son charme le chevalier Ruggiero, se transforme au fil de la pièce en femme brisée que l’on ne peut haïr, malgré tous ses méfaits et qui s’avère plus humaine finalement que ceux qui la condamnent.

Renée Fleming prête à ce personnage ambigu l’étrangeté ténébreuse d’un puissant soprano, assez intense et grave pour évoquer la maturité et les déchirures d’une femme blessée. Le colorature de Natalie Dessay, qui interprète Morgana, la s’ur légère, inconstante et fantasque d’Alcina, touche dans ses soudaines brisures : cette ingénue libertine vibre, cruelle et émouvante dans son insouciance enfantine, avant de souffrir à son tour. Susan Graham, mezzo-soprano et Kathleen Kuhlman, contralto, campent honnêtement un homme et une femme qui en revêt l’apparence : voici Ruggiero l’amant infidèle et Bradamante, la femme oubliée, devient Ricciardo pour retrouver le traître. De beaux moments d’émotion sous la direction d’un William Christie sensible, précis et mesuré, tout en finesse et pudeur, sans que le c’ur pourtant ne soit vraiment atteint par de véritables envolées poignantes ni que l’imagination ne s’excite réellement. Natalie Dessay se distingue toutefois par sa fraîcheur, sa vivacité et la variété d’expression de ses sentiments. Elle malmène son personnage sans jamais le caricaturer et le défend avec amour. »

Opéra International – février 2000 – appréciation 3 / 5

« Une version inégale, mais très intéressante »… »Deux erreurs de distribution manifestes : Natalie Dessay est ici trop fantasque, trop éminemment virtuose pour un rôle (Morgana) qui réclame plus de délicatesse »… »Le constat est plus décevant encore pour le Ruggiero de Susan Graham »… »La voix est belle, mais curieusement monochrome, sans assise dans le grave, placide dans les vocalises, neutre dans l’expression. Timothy Robinson est un très pâle Oronte, Juanita Lascarro, par contre, convainc dans le petit rôle d’Oberto »… »Renée Fleming incarne une Alcina très émouvante…Admirablement soutenue par un William Christie particulièrement attentif, elle fait de ses airs de vrais moments de théâtre. »

Diapason – février 2000 – 5 Diapasons – technique : 8
Répertoire – février 2000 – Recommandé

« Une part de la magie scénique s’efface au disque. La prise de son trop distante…explique cette impression. Mais ce que l’on perd en clarté, on le gangne en naturel. Quelle vitalité, quel tonus, quelle énergie débordante, quel rayonnement dans les airs »… »une idyllique Natalie Dessay, sa prestation illuminée, impérieuse »… »Le Ruggiero de Susan Graham a du mal à convaincre »…t »rop engoncée dans un personnage dont elle ne saisit ni la complexité, ni les paradoxes »… »De Renée Fleming, souveraine, on retiendra l’engagement émouvant dans les airs où l’amour se chante sur le mode de la plainte et du désenchantement. »

Répertoire – février 2000 – Interview de William Christie – « William Christie raconte l’épopée Alcina »

 

 La critique d’Alexandre sur un site dédié à Haendel – appréciation 13/20

« On nous l’annonçait comme le grand succ`s de l’été 1999. Mais voilà, qu’est-ce qui fait un bon opéra ? Une belle mise en scène, de bons chanteurs, ou alors une bonne interprétation ? De prime abord les trois ! Mais ici, l’esprit des spectateurs si enthousiastes à la sortie du spectacle, n’a dut s’arrêter qu’au seul premier point. N’ayant pas assisté aux représentations, je ne sais que vaut la dite mise en scène de Carlsen, tout ce que je sais c’est que le disque en résultant est assez décevant … au vue du tapage effectué autour, naturellement.

Passons le premier point donc, et regardons les deux autres. Les chanteurs … C’est une nouvelle tendance que de faire chanter des non baroqueux dans ce type de répertoire (avant, il y a une quinzaine d’année cela se comprenait, il n’y en avait encore pas, mais maintenant …), on en avait déjà eut l’expérience avec le Mitridate de Mozart par Rousset, où cela avait plutôt bien  » collé « , mais Mozart est plus classique que Händel, y comprit dans ses seria.

Commençons par la moindre de toute : Dessay. Comme chez Rousset les da capi ne sont pas toujours très bien venu (on en reparlera plus tard, ce n’est pas sa faute à elle), mais la voix est d’une telle beauté, d’un tel maintient, d’une si belle prestance … Des aigus superbes (comme d’ordinaire), mais aussi un moelleux dans le grave qui lui est plutôt récent, et fort bien venu. Une grande et belle démonstration, que ses partenaires n’ont guère suivis. Graham s’en tire plutôt bien, mais ce n’est manifestement pas son répertoire. La voix semble être tirée, tiraillée dans tous les sens, les vocalises peinent, et l’on ne la sent pas trop à son aise, s’attachant manifestement à ne pas faire d’erreur dans la partition alors que la musique devrait la porter. Une grande chanteuse, de cela ne doutons pas, mais qui n’a pas sa place ici. Autre erreur, la jeune soprano Lascarro, en rien le jeune homme juvénile qu’elle devait incarné : les vocalises savonnent à tout va, et l’entrain relatif qu’elle dégage ne comble pas la vivacité nécessaire … Bonne nouvelle du côté de Kathleen Kuhlmann, qui s’est largement améliorée depuis son enregistrement avec Hickox. La voix s’est affermie, la diction améliorée, et les vocalises bien plus heureuses. Côté des hommes, rien de quoi s’extasier et rien de quoi discuter, même l’habituel excellent Laurent Naouri semble s’être anémié ; Timothy Robinson est quant à lui un peu vert. Mais le point noir provient du rôle titre.

On connaissait Renée Fleming plus adéquate dans des répertoires plus contemporains, ici la soprano joue une parodie de Joan Sutherland, reconnaissons-le, assez calamiteuse : n’est pas miss Joan qui veut ! On glousse, on rame, on savonne, on s’égosille … passons. Le vrai problème est en fait à chercher du côté du chef. On savait Christie grand amateur de Händel, mais pas toujours très heureux, la tendance semble se confirmer. Les tempi dans l’ensemble se tiennent, même si les allégros se font rares et que le désir de temporiser le tout prédomine. A noter néanmoins une énorme méprise sur le premier choeur, pris à deux à l’heure alors qu’il s’agit presque d’un presto … (écouter Bonynge) Toujours côté interprétation, si l’orchestre des Arts Flo est de très belle facture, les violons attachent un peu l’oreille, et les cors sont presque inaudibles (dommage pour leur intervention dans Sta nell Ircana) en raison vraisemblablement de la prise de son du Live. Christie s’agite beaucoup dans les allegro, mais la vie fait horriblement défaut, le tonus n’est pas là … (le trio de l’acte trois est ennuyeux au possible, alors qu’on le sait si palpitant). Parlons enfin des da capo … Le chef les a sans aucun doute écrit pour ses chanteurs peu habitués à ce répertoire. Il y a du grain et aussi de l’ivraie. Certains sont fort inventifs, d’autres trop … tant et si bien que l’air original se perd dans des méandres de variations. Variations qui se trouvent être la plupart du temps fort peu naturelles pour la voix des intervenants, et leur demande un effort supplémentaire à fournir, alors que les da capo se doivent de mettre justement en valeur toutes les possibilités naturelles (et extrêmes) des chanteurs : d’où les nombreux arrêts saccadés de part et d’autres pour réussir à accrocher la note écrite, ou suivre la cadence peu orthodoxe … Pour certains, aucun problème : Dessay a une technique parfaite, et passe tout et n’importe quoi avec aisance et classe (même les choses peu dignes d’elle …) Robinson et Lascarro aussi : rien ou quasi dans les da capo !

Il manque la vie à cette interprétation, en lieu et place de noce, l’on va au cimetière, certes la fin n’est guère heureuse pour la magicienne, mais que Diable, il s’agit d’un divertissement, et tout s’y prête si facilement !

Après tout ces reproches, remarques, et critiques (dans le sens peu noble du terme) on peut se demander qu’elle note catastrophique cet enregistrement va avoir. En fait la note ne sera pas très sévère, car ce que Christie à faire ici est assez remarquable : on n’a plus l’impression d’écouter Alcina, mais au contraire une espèce de pasticcio. Singulier, j’en consens, et que tous ceux qui cherchent Alcina aille voir ailleurs, Hickox en tête. »

Etudes Cyberboutik

« Alcina se présente comme un « opéra de chambre » d’une radieuse beauté, qui s’est imposé comme un chef-d’oeuvre dès sa création, suivie de dix-huit représentations jusqu’en 1785. Haendel, en effet, affirme ici sa maîtrise de musicien et de dramaturge dans cet opéra qui se déroule dans une continuité mélodique et scénique, faisant vivre par sa musique chacun des personnages, qui se dessinent dans toute leur vérité psychologique. L’interprétation est le fruit d’un travail soigné du chef William Christie, qui a choisi son plateau pour que chacun, par sa voix et son geste, puisse donner du relief à un opéra qui pourrait être lassant de par ses récitatifs, mais qui prend une allure entraînante, faisant croire à l’authenticité de l’oeuvre. Certes, le spectacle a été rodé lors des représentations du Palais Garnier à Paris, mais il est ici dépouillé de tout le fatras des décors et de la mise en scène, prétentieuse et bavarde, de Robert Carsen. La seule musique prend alors toute sa force intérieure. Alcina est cette sorcière qui attire les beaux chevaliers sur son île enchantée pour se les approprier à jamais, les transformant en pierres, arbres ou animaux (c’est déjà du grand Racine…) et qui, par peur de la vieillesse, se perdra par amour. Renée Fleming campe cette héroïne bouleversante, avec sa voix généreuse, de tradition belcantiste, mais qui s’est bien adaptée au style de la musique baroque ; elle sait faire vivre ses interminables récitatifs ou monologues, qui dessinent des personnages extraordinairement vivants. Autour d’elle, dans le rôle travesti de Ruggiero, l’excellente mezzo Susan Graham ; et l’on retrouve le dynamisme et l’humour instinctif de Natalie Dessay dans le rôle de Morgana ; citons aussi Juanita Lascarro, Laurent Naouri et le ténor Timothy Robinson : un merveilleux plateau, entourant notre belle sorcière. Mais c’est finalement William Christie qui sort grand vainqueur avec ses « Arts Florissants », déployant dans leur splendeur orchestrale toutes les couleurs et les contrastes d’une musique de rêve. »